Belchen satt - brutal hart

Autor
Jose Heussler
Datum
21.11.2013

Prolégomènes

Après mon grand huit d’Alsace l’année dernière et devant l’absence d’un 1000 de l’Est dans le même esprit que le 1000 du Sud de Sophie Matter, j’avais décidé l’automne dernier de me faire mon 1000 de l’Est à moi en août 2013. Après quelques week-end de préparation durant l’hiver le tracé et la feuille de route détaillée étaient prêts (ils existent toujours et sont disponibles pour ceux que cela intéresse).
A partir de là ce 1000 était devenu mon objectif de la saison et ma préparation était axée vers cet objectif (1000 km, plus de 15 000 m de dénivelé et un délai maximum de 75 heures) à réaliser durant la première quinzaine d’août. Finalement rien  ne s’est ensuite passé comme prévu.  Sont venus s’ajouter aux habituels temps limité pour pédaler et manque chronique de relief digne de ce nom en Gironde : mauvais temps jusqu’à fin juin, dos bloqué suite à mes sorties grand froid dans les Vosges  début avril, tentative avortée sur le parcours du 400 km du CC Castanéen suite à un guidon fêlé, série de brevets du club relativement plats,…  Néanmoins début juillet j’avais perdu mes kilos d’hiver mais, si le coup de pédale était bon, il était tout sauf adapté à la montagne.  Au dernier moment je me suis inscrit au BCMF de Limoux pour accumuler un peu de dénivelé supplémentaire. Cela s’est bien passé à une bonne moyenne tout en confirmant mes impression : en forme mais pas assez de montagne dans les jambes. Je n’aurai plus l’occasion de refaire de la montagne avant début août et me résous donc à une seule chose : garder la forme, me reposer parce que l’année de travail se fait aussi sentir, faire quelques montées de col sur home-trainer.
Entre temps je doutais aussi quant au défi à tenter : j’avais découvert vers fin mai la toute nouvelle super-randonnée organisée par l’ARA Freibourg. Une super-randonnée c’est 600 km et a minima 10 000 m de dénivelé ; compte tenu de ce dernier les délais sont revus par rapport à un 600 standard (fonction du dénivelé). C’est à 60 km de chez mes parents, cela passe dans l’ensemble sur une partie du parcours de mon 1000 mais, comme c’est officiel, cela donne aussi des points à mon club et si j’y arrive ca éliminerait ce que je considère comme étant pour un vélo couché le plus dur de la liste des brevets à réaliser pour réussir un randonneur 10000 (avec le temps à trouver pour les 1000 et 1200). Inversement, si sur mon parcours j’accumule du dénivelé, j’essaie de le faire sur des pourcentages et des routes adaptés au VC alors que Walter et Urban eux aiment les forts pourcentages d’autant plus quand ils se combinent avec des routes scabreuses (mais calmes). Après un bon mois d’hésitation je me décide début juillet, après le BCMF, ce sera la Belchen satt et mon 1000 attendra l’année prochaine.
Belchen satt 2013« Belchen » est le mot allemand pour Ballon et « satt » signifie rassasié. Effectivement le parcours passe par le Belchen allemand, le Belchen suisse et les quatre ballons vosgiens (Servance, Alsace, Grand et Petit) mais au-delà il accumule une liste impressionnante de montées et de cols dont quelques horreurs évidentes (montée de Läufelingen, Weissenstein, la Goule ,…) qui enchaînent parfois sur plusieurs kilomètres des 15 à 20 %... auxquels s’ajoutent des choix comme la montée du Grand Ballon par Saint-Amarin Geishouse qui n’est pas la plus facile des options. Le parcours avec ces 615 km et 12 400 m de dénivelé (selon Openrunner) en 54 heures maximum traverse ainsi 3 massifs (Forêt-Noire, Jura et Vosges), 3 pays (Allemagne, Suisse et France), 3 vallées significatives (Rhin, Aar et Doubs). Un autre élément est bien à intégrer à cette latitude : la météo. Tout est possible avec un climat continental en août: la canicule, un temps clément, le froid mordant ainsi que la combinaison du tout même sur un délai de 54 heures.
Fin juillet se déroule la randonnée inaugurale en groupe et j’attends avec impatience les premiers retours sur le site de l’ARA Freiburg. Ils ne se font pas attendre. Au-delà des conditions météo extrêmes (c’était la canicule avec 37°C de jour, selon un participant guère moins de 30 la nuit), je retiens surtout le «brutal hart » de l’un des candidats. Cette expression allemande pourrait se traduire par « brutalement dur » ou un bon français « extrêmement dur, dur et brutal » mais cela ne sonne pas pareil. « Brutal hart » ca claque, un peu comme les pourcentages que je ne tarderai pas à me prendre dans les jambes. Quand j’apprends en plus que même une bonne partie des VD ont poussé leur vélo dans les passages les plus raides, que je vois des vidéos où ils montent en faisant des lacets sur les lignes droites (ca, ca ne m’étais plus arrivé  depuis une montée du Kitzbüheler Horn en 42 x 26 à la fin d’une sortie d’entraînement où je m’étais bien cramé le tout vers 1980… il n’y avait pas plus petit à l’époque sur des vélos de compétition) et que je calcule le taux de non finisseurs dans les délais, de l’ordre de 40% (si tous les inscrits étaient bien au départ, ce que j’ignore).
Je me prépare depuis des mois pour mon 1000 puis pour son remplaçant, physiquement, mais aussi dans ma tête. Je me répète que ca va être difficile, que j’aurai des moments où je me demanderai vraiment ce que je fais là durant mes vacances plutôt que de me reposer ou simplement faire des balades sympa à la journée et qu’il faudra se dire que je voulais être là, que je voulais le terminer dans les délais, que je le regretterai deux jours plus tard si je ne vais pas au bout et qu’il faudrait continuer en se disant « va jusqu’au col suivant puis tu penseras au reste… ». Néanmoins là je commence à douter.

Marche d’approche

En attendant il y a la transhumance estivale annuelle de la Gironde vers l’Alsace à faire avec tout à coincer dans la voiture.  Après près de 1000 km voilà Villé, presque à pied d’œuvre.
Le programme de mise en forme commence par les habituels 6 stères de bois à mettre à l’abris pour remettre les lombaires en place et l’entretien d’un terrain devenu bien trop grand pour mes désormais vieux parents. En parallèle un peu de vélo : sortie dominicale de la MJC Villé le premier dimanche par Ribeauvillé, col de Fréland, Col des Bagenelles et Col de fouchy (2 fois) ; le mardi Haut-Koenigsbourg, col de Fouchy, Climont ; vendredi tour de la vallée de Villé en passant par l’Ungersberg pour tester un peu de raide (mais court) ; 3 heures de marche à pied le jeudi me disant qu’il était préférable d’y préparer certains muscles. Le coup de pédale montagne commence à être un peu plus souple même si ce n’est pas encore la même chose qu’après 3 semaines de vacances. Il faudra faire avec.
En même temps je cogite dur sur mon équipement. La météo s’annonce variable (dans le langage de Météo France cela veut en général dire qu’ils n’en savent rien …) mais je vais emmener de quoi faire face à la pluie correctement (le dernier Paris Brest m’a servi de leçon et j’ai maintenant un imper digne de ce nom) et surtout au froid parce que les nuits sont à nouveau fraîches. Deux problèmes restent entiers : i- je ne peux pas marcher quelques kilomètres avec mes chaussures de route et ii- mon développement minimal de 30 x 28 montre ses limites sur les forts pourcentages surtout lorsqu’ils se cumulent avec des heures de route. J’exclu les pédales et chaussures VTT avec lesquelles je n’arrive pas à régler l’angle de mon pied gauche comme il faut, que cela me fait vite mal au genou quand j’essaie néanmoins et que compte tenu de la durée cela finira quasi à coup sûr en tendinite. Je me résous donc à emporter une paire de chaussures pour marcher. Objectif premier : elles doivent être les plus légères possible. En fouinant au magasin Intersport de Sélestat je déniche une paire de chaussure minimaliste Merell ; ça ne pèse pas plus lourd que des Tongs, ca amortit encore moins lors du contact au sol mais je vais marcher en montant, c’est très confortable à porter et ca prend peu de place. Pour mes développements je désespère : aucune casette ne permet de gagner significativement du développement sans changer  mon dérailleur triple de route. C’est en lisant le compte rendu de Sophie Matter que j’ai le déclic. Elle a changé son pédalier route pour un triple VTT en vue d’un projet au Pays-Basque (ca peut en effet être très utile par là-bas). J’ai un vieux VTT qui reste en permanence en Alsace. Donc démontage des 2 pédaliers et des cuvettes et remontage de celui du VTT sur le VC. Après raccourcissement de la chaîne et repositionnement/réglage du dérailleur avant me voilà doté d’un 22 X 28 et ca fonctionne parfaitement.  Ma sortie via l’Ungersberg me confirme que cela soulage sans résoudre pour autant le problème de l’équilibre qui va s’amplifiant avec la vitesse qui diminue.  Au maximum cela laisse du 44 X 11, soit l’équivalent d’un 52 X 13 ce qui permet de filer une moyenne tout à fait honorable sur du plat, le grand Eddy ne disposait guère de mieux à son époque.
Me voilà donc prêt, à défaut d’être vraiment serein. Samedi et dimanche sont prévus pour se reposer avec néanmoins  le samedi les derniers contrôles, le nettoyage et la lubrification du vélo, ce qui n’est guère fatiguant en soi. Tout cela était trop beau… Samedi 19H00 lors de la toute dernière opération, le remplacement de mes cales Time (bien usées par tous les lacets à droite du col de Pailhères impossibles à prendre avec n° 22) un des boulons de fixation de la chaussure droite est cassé net en 2. Ca ne m’inspire pas du tout de partir avec seulement 2 boulons sur 3 qui tiennent. Du coup gros bricolage, démontage de la chaussure par l’intérieur et mise au point d’un système de remplacement. Ca se termine sur les nerfs à minuit mais ca tient. La dernière vraie nuit de sommeil est par contre bien entamée. Dimanche à 18H00 Muriel me laisse au petit hôtel que j’ai trouvé à Freiburg. Le compte à rebours est lancé. Un petit tour par la magnifique vieille ville est idéal pour me changer les idées. Je dîne dans un petit resto sympa : Lasagne et munster avec une bonne bière. Comme je ne suis pas sûr de manger du chaud avant un certain temps et j’en profite et me fais plaisir.
Après une émission très intéressante sur SW4 sur l’histoire de la Forêt-Noire puis une autre sur le mode de vie dans les fermes d’altitude (c’est une des différences notables avec les Vosges : en Forêt-Noire il y a des exploitations à l’année et des villages en altitude alors que dans les Vosges c’est exceptionnel) le sommeil vient. Je dors bien et mon tel portable me réveille à 5 heures. J’avale une bonne partie du copieux plateau qui m’avait été remis la veille et le reste (du moins ce qui est transportable) file alourdir mes sacoches : cela fera un arrêt en moins.   
Le vélo est lourd compte tenu de tout ce que je transporte :

  • Chaussettes chaudes, cagoule, gants longs, manchons, jambières, gilet coupe-vent, imper, sur-chaussures pluie, lunettes de rechange, chaussures de marche, maillot Odlo chaud à manche longue, chasuble avec bandes réfléchissantes,
  • Sac de survie et couverture de survie,
  • Chambres à air, nécessaire pour crevaison, multi outil, un câble de dérailleur arrière longueur adaptée VC, piles pour la frontale,
  • Un peu de paracétamol, du Maalox, de la Citrate de bétaine, une brosse à dent, un mini tube de dentifrice, papier WC et quelques lingettes, crème solaire,
  • Copie couleur des cartes routières, carton de pointage, stylo, carte bancaire, des Euros et des Francs Suisses (que je n’utiliserai pas), carte d’identité (je suis entré et sorti de Suisse sans contrôle mais ce n’est pas toujours le cas),
  • Téléphone portable pour les photos de contrôle et E-wix pour le recharger,
  • Feuille de route réduite qui tient dans ma poche de maillot ce qui évite d’avoir à trop s’arrêter (en réalité je les consulte peu ; je mémorise les parcours durant plusieurs semaine avant ce qui évite d’avoir à trop s’arrêter pour chercher et de perdre du temps).


Tout cela pèse, même en essayant de rester sur du léger unitairement, mais au final le pire c’est la nourriture :

  • Une boîte et demi de poudre Ovst (600 + 300 g) (j’ai oublié l’équivalent en Fnx en Gironde alors que je venais de les commander et pas moyen d’en trouver en Alsace) et des barres Fnx (env. 700g),
  • Sandwichs pour midi et soir du premier jour,
  • 1 pomme, 1 banane plus quelques autres restes du petit-déjeuner trop copieux de l’hôtel.

Je me console en me disant qu’au fur et à mesure de mon avancement cela va être consommé et le vélo va s’alléger.  Ce sera vrai sauf pour les barres dont il me restera les trois-quart.
Le choix d’emmener cette nourriture est un arbitrage entre du poids supplémentaire à transporter et des arrêts restaurants/cafés pour des vrais repas avec la perte de temps qu’ils entraînent.
Je mets mes affaires civiles dans un sac en plastique et les confie à la réception de l’hôtel et je quitte ce havre de paix avec une boule au ventre. Si tout va bien et dans les délais je les récupérerai dans 2 jours ; si tout va bien…

Forêt-Noire

Je roule 500 mètres tranquille pour aller au Martinstor (ancienne tour d’enceinte) qui marque l’entrée dans la vieille ville de Freiburg. Après une photo rapide de l’horloge pour marquer l’heure de départ c’est parti. Il y a encore peu de monde en ville à 6h00 du matin et la banlieue sud-est est vite traversée, simplement rythmée par quelques arrêts aux feux rouges. Je profite de ces quelques kilomètres de plat qui mènent au pied de la première montée : Schauinsland. Le dénivelé est de presque 1000 m mais à l’exception du début de la véritable montée (1 ou 2 km) c’est roulant et la route est large. Une montée pour vélo couché.  Le réveil est effectivement un peu douloureux dans les premières rampes mais ensuite cela monte bien. La grimpée par ce côté-ci est assez monotone, en forêt sans beaucoup de points de vue mais, ce n’est pas toujours le cas, quasi dépourvue de circulation à cette heure-ci. Je prends la photo de contrôle au sommet à 7h30 dans les temps que je m’étais fixé. Rien d’exceptionnel mais je me contrains à rester à un rythme que je peux soutenir longtemps.
Il fait encore frais et je me couvre pour affronter la descente vers le Münstertal. Ma randonnée a failli s’arrêter là. Dans un virage sans visibilité un camion laitier en sens opposé traverse la route de l’intérieur du virage vers l’extérieur où se trouve une ferme. Je ne roulais heureusement pas très vite et ai du coup moi aussi fait un tout droit pour aller visiter la cour de ferme. Pas de chute, juste une grosse frayeur. Dès la fin de la descente on rejoint la route qui monte vers le Wiedener Eck et qui se poursuit ensuite vers le Belchen allemand. Ce sont encore des routes larges à la pente raisonnable (6-7%) qui se montent bien et bon rythme en VC. J’évite le raccourci proposé sur la fin du Wiedener Eck et qui permet de faire en environ 1 km ce que la route normale fait en 2,5. J’ai prévu de la marche à pied pour plus tard ; là il y a le choix et il est vite fait. La circulation se fait un peu plus dense sans être gênante et il y a de la vue avec des paysages magnifiques. Après le col du Wiedener Eck je croise quelques chevreuils qui se promènent sur la route mais qui s’enfuient dès qu’ils me repèrent.  J’arrive facilement au Belchen pour le 3ème contrôle après simplement une hésitation au niveau de la barrière qui ferme la route aux voitures. Après quelques photos d’un paysage extraordinaire  et m’être couvert, je profite de la descente qui contrairement à ce qui était annoncé est dans un état très correct (en tous cas comparé à la moyenne des routes secondaires girondines). Après la route du Belchen, la descente continue cette fois-ci sur un billard avec de jolis virages direction Schönau .Belchen satt 2013
Il continue de ne pas faire bien chaud mais la montée suivante, le Tiergrüble,  est annoncée plus ardue que les deux précédentes. Cela se confirme ; la route est peu large mais à l’exception d’un ou deux kilomètres vers la fin avec un revêtement excellent. On rajoute un ou deux degrés de pente et ma vitesse diminue mais j’arrive à tenir mon 9 km/h. Les habituelles instabilités se font sentir, mais à cette vitesse cela ne me pose pas trop de problème. Il faut simplement rester concentré. Bien qu’elle soit quasi tout en forêt comme le Schauinsland je trouve cette montée très belle. Les arbres sont magnifiques et la route serpente habilement dans la pente. Arrivé au sommet mes jambes commencent à ressentir les mètres de dénivelé accumulés depuis le départ mais cela ne pouvait pas durer éternellement de se sentir simplement en ballade… Après la photo de contrôle. Une petite descente suivie d’une remontée en faux plat toutes les deux permettent de rejoindre le Hochkopf et une route à plus grande circulation pour rejoindreTodtmoos. Je redoutais cette portion de route mais il y a relativement peu de circulation et la descente est à nouveau superbe : paysages, état de la route, virages. J’évite Todtmoos centre en pensant trouver de l’eau un peu plus loin. Mauvais calcul : il n’y en a pas .
J’attaque donc la dernière montée de la Forêt-Noire en gérant ce qu’il me reste de boisson dans mes bidons. Ce sera la moins plaisante. La route est large et il y a un peu plus de circulation mais le pire c’est qu’elle fait partie de ces routes qui se raidissent insidieusement sans que l’on s’en aperçoive. Je passe le 22 à l’avant et le 21 à l’arrière avec une impression de ne pas savoir pourquoi je n’avance pas plus vite. Le décor n’est pas plus avenant il s’agit d’une grosse trouée dans la forêt sans plus d’intérêt. La seconde partie se calme un peu et le sommet réserve une belle surprise avec  une superbe fontaine taillée dans un tronc d’arbre. Je fais le plein d’eau et la première vidange des boîtes de poudre. Coupe-vent sur le dos c’est partie pour la descente progressive vers Laufenburg. Après la trouée dans la forêt la route redevient très plaisante qui serpente au milieu de paysages bucoliques où prairies et forêts se mélangent. N° 22 s’en donne à cœur joie sur un revêtement de qualité dans une alternance de portions en faux-plat descendant et de plat. Je rattrape ainsi un peu du temps qu’un VC lâche forcément sur un VD dans les portions montantes. La fin de cette partie de route quelques points de vue superbes sur la vallée du Rhin et  le Jura en arrière-plan. Impression très mitigée : il est très beau ce Jura mais cela annonce autre chose en termes d’obstacles sur la route que ce que je suis en train de laisser derrière moi… Il commence à faire chaud et je m’arrête 10 minutes pour enlever coupe-vent, manchons, sur-chaussures, (…), me tartiner de crème solaire tout en mangeant un petit sandwich. Une quinzaine de minutes plus tard je traverse la vieille ville de Laufenburg puis le pont sur le Rhin qui me permet de passer en Suisse (pour la première fois de ma vie sans voir un seul douanier).

Jura

Après un petit kilomètre de détour dans Laufenburg côté Suisse (j’ai pris à droite après le pont au lieu d’aller à gauche, irrésistiblement attiré par les côtes pavées ce qui doit venir de mon engouement pour le  Tour de Flandres). La portion plate qui suit est plus éprouvante que prévu : le vent s’est levé assez sérieusement et il faut appuyer pour maintenir un 30 kmh en direction de l’est/sud-est. Ca va être le cas pour le restant de cette première journée durant laquelle toutes les portions plates ou en faux-plat seront plus fatigantes que je ne le pensais à cause de ce vent.  J’appui donc mais pas trop : dans 7-8 km, à partir de Kaisten, commence une partie de montagne russe sur une trentaine de kilomètres pour rejoindre le pied du prochain col (et aussi le Belchen Suisse) qui semble plutôt gratinée à en croire les commentaires plein de sous-entendu des participants à la randonnée inaugurale. Pour avoir déjà sévi dans le secteur je les crois aisément. Contrairement à la France, où le passage du transport principalement fluvial à l’origine vers le transport routier s’est fait sous la contrainte de décrets royaux qui spécifiaient les pentes maxima à ne pas dépasser (afin que les attelages puissent passer), en Suisse les routes utilisent assez fréquemment l’azimut brutal. Dès la sortie de Kaisten la route s’élève assez sévère pour une bonne bosse de 2-3 km qui reste néanmoins tout à fait cyclable en VC. La récompense est une superbe descente pour rejoindre Frick. Là il n’est pas possible de rejoindre la route vers Kirchen. Il y a une grande foire qui occupe toute la rue principale. Impossible de se frayer un chemin à pied dans cette cohue avec n°22, même à la main. Je fais demi-tour vers la déviation qui me dépose 2 km plus loin de l’autre côté de l’obstacle avec le même problème : le carrefour que je dois prendre est au beau milieu de ce b… J’y vais donc à l’orientation à travers les quartiers résidentiels périphériques. Quelques petites bosses plus loin je retrouve la route prévue avec un quart d’heure de perdu. S’en suit une remontée de vallée sur quelques kilomètres, seul passage tranquille (le vent excepté) de ce tronçon. Peu avant Kirchen la route s’élève assez raide durant 2 km mais au centre du village après le carrefour à droite direction Anwil la pente redescend vers les 4-5% et les 2 derniers kilomètres sont faciles. Ca vient quand les sous-entendus ? C’est avec cette question en tête que je me laisse glisser vers Anwil. Dès la sortie la réponse apparaît raide comme un fil. Après une descente rapide une décélération tout aussi rapide, je fais un tout à gauche scabreux dans du 20%. J’ai eu chaud mais les vitesses ont passé exactement où il faut et je fini mon premier mur à 6-7 km/h sur n° 22. Cela enchaîne sur le même mode 2 ou 3 fois jusqu’à Ofmalingen. A chaque fois tout repose sur le bon passage de vitesse en pleine pente remontante ; c’est plus stressant que fatiguant. Si on se loupe, en VC c’est la chute assurée. Lors du dernier à l’entrée d’Ofmalingen la chaîne saute et me voilà par terre. Quelques écorchures sur les jambe et main droites, rien de grave mais cela rajoute à mon stress. Après 200 mètres à pied pour finir la bosse j’arrive à Ofmalingen. La sortie vers Zegglingen est tout aussi corsée mais elle s’aborde à vitesse réduite et le seul problème est de gérer l’équilibre de n° 22 qui devient très limite vers les 6-7 km/h en pente forte. Je me dis que la descente sur Zegglingen est de celles qu’il est préférable de descendre que de monter : elle est tellement raide que je la fais à 20 à l’heure sur la plus grande partie. Dès le bas c’est reparti pour la montée sur Wisen. Elle se fait par paliers mais est assez digeste : route large, portions montantes soutenues sans être des murs et portions de récupération. Après une descente rapide voici Läufelingen lieu du contrôle suivant. Je prends la gare en photo, remplis les bidons d’eau et de poudre et me mets en route pour le premier vrai épouvantail de la journée. Dès le bas c’est clair : je ne monterai pas cela avec n° 22 chargé. Ce serait peut-être possible avec mon VK plus stable quoi que moins bon grimpeur mais là j’ai plus de chances de me retrouver par terre à nouveau qu’autre chose. Je change de chaussures et me mets à pousser comme je l’avais prévu. Après le premier mur la pente s’adoucit sur quelques centaines de mètres et de me mets à nouveau à pédaler avec les chaussures de marche. C’est moyen sur les pédales Time I-Clic mais ce n’est pas long et ca permet de dégager immédiatement les deux pieds dans les montées raides et d’éviter de se retrouver par terre.  Voici la deuxième partie, celle sur laquelle les VD de la vidéo tiraient des lacets quasi à l’arrêt sur la route qui monte droit au ciel. Je fais l’intégralité de cette deuxième partie à pied. Arrivé à une ferme cela se calme et on devine le bout quelques centaines de mètres plus loin. Je remets mes chaussures de vélo et attaque le faux-plat final. Je croise un vélo qui descend vite et en roue-libre ; peut-être n’est pas si faux-plat, comme quoi tout est relatif, une fois qu’on s’est habitué à du 20%. Après une courte et raide descente me voilà enfin à Eptingen à l’attaque du Belchen suisse.
Après avoir erré quelque peu dans les ruelles je rejoins la route qui mène  à celle du col. Nos amis Walter et Urban ont trouvé une variante à l’attaque normale, méfiance ! Ca commence par une route en béton, vite raide et surtout assez étroite. Pour l’instant ca passe mais il ne faudrait pas qu’une voiture se pointe en face parce que je tombe vite à 7 à l’heure, puis à 6. Le béton devient macadam mais le reste ne change pas.  Sorti de la forêt je me trouve confronté à l’équation « pente + virage un peu serré + route étroite + voiture en face ». Une seule solution : pied à terre pour 300 mètres, le temps de passer le virage. Une fois reparti en vélo, la route normale du Belchen est vite rejointe. Elle est certes un peu rugueuse mais large, de pente soutenue mais régulière et pas être extrême. Le soleil commence à chauffer un peu et ce sera le seul passage de toute cette randonnée où je chercherai un peu d’ombre.  Tout à la fin la route se rétrécit et se raidit. Cela passe néanmoins jusqu’à l’avant dernier lacet où je suis obligé de mettre pied à terre. Les 300 derniers mètres se feront à pied ce qui est beaucoup plus pratique pour admirer le paysage et  manger un morceau ; du repos actif. Arrivé au col du Schilzimmersattel je prends la photo de N° 22 devant les barrages anti-char et file immédiatement dans la descente vers Balsthal. Je ferai le point un peu plus-tard : après les raidards du début où il faut rester vigilant la descente est très agréable tout en restant rapide.
La situation est plutôt satisfaisante : malgré le vent contraire et mes quelques épisodes de marche à pied je n’ai guère qu’une ½ heure de retard et les jambes, même si elles commencent à fatiguer vont bien.  Mon objectif était de voir le coucher du soleil en haut du Chasseral. C’est juste mais encore jouable. Balsthal et son pilier me rappellent à de vieux et bon souvenirs d’escalade à l’exception d’un réveil brutal par les policiers suisses, lampes torches en pleine figure à 3 heures du matin lors d’un bivouac ; ça vous surprend . C’est parti pour la longue remontée de vallée pour rejoindre le petit col sans nom d’où l’on part ensuite vers la gauche direction l’ogre : le Weissenstein (le vrai ogre suisse est un peu plus au sud mais celui-ci est réservé aux alpinistes). C’est visiblement la rentrée des classes dans ce canton. Un arrêt rapide dans un village pour refaire le plein d’eau et de poudre me permet de me le faire confirmer. Le petit col est  plus ardu que prévu, les 3% annoncés sont un peu plus raides, surtout en ligne droite  vent pleine face. Il passe bien néanmoins et me voilà à pied d’œuvre.  L’attaque annonce tout de suite la couleur avec une montée en escalier ; ca passe encore. Dès l’entrée de la forêt la route se rétrécit et les escaliers disparaissent. Il y a simplement trois longues lignes droites pentues entrecoupées de deux lacets. La première est annoncée à 9% de moyenne mais cela fait parfois plus parfois moins et il y a des voitures et les croisements sont trop scabreux compte tenu de mon équilibre précaire à 5-6 kmh. Je mets pied à terre dans un passage qui à coup sûr n’est pas à 9% et chausse mes chaussures de marche. Il reste environ 4 km à faire et je devine que je n’en ferai plus beaucoup sur mon vélo surtout que le dernier flirte avec les 15%. Ce sera effectivement le cas : jusqu’au sommet du col je roulerai peut-être 800 mètres en 3 portions et le reste je pousserai. Ca gamberge dur dans ma tête : que fais-je ici ? Ce n’est plus du vélo cà - fini le Chasseral de jour - fini la vue sur les Alpes Bernoises,…  Je me répète ce que je me suis dit tous les jours depuis des mois et décide d’en prendre mon parti et de marcher… le plus vite possible.  Au final en 5-6 kmh sur le vélo et 4-5 à pied la perte de temps reste limitée, ca repose certains muscles et il y en a dans des temps lointains qui ont fait des tours de France ainsi. Un seul objectif donc : voir le sommet de cette horreur ; c’est de toutes façons la seule chose qu’il y a à voir de toute la montée qui ne réserve aucun point de vue. Arrivé au col, un bout de descente puis une remontée mènent à  l’hôtel où doit être prise la photo de contrôle. Je règle cela au plus vite, change de chaussures et file dans la descente, tellement pressé que je ne suis même pas allé voir la vue de l’autre côté de l’hôtel.  Filer est un bien grand mot, l’autre face de l’ogre est encore moins comestible : la descente frôle voire dépasse les 20% et ca dure quelques kilomètres avec des lacets. Je me rappelle les récits que j’ai lus (double explosion des pneus à cause de la chaleur des patins sur les jantes...) et décide de rester prudent. Je descends entre 25 et 30 kmh. Dans une ligne droite je laisse filer un peu pour voir et monte à 55. Il va me falloir 300 mètres pour ralentir n° 22 à 20. Arrivé au premier village qui marque la fin de la descente raide le soulagement est presque aussi important qu’à l’arrivé au sommet. Le reste de la descente est plaisant et permet de récupérer. Une longue ligne droite plate de plusieurs kilomètres permet ensuite de rejoindre Grenchen. Cela circule beaucoup mais sur la piste tout va bien. Une coureuse Suisse me double avec son tout Carbone et me dévisage avec dédain : un VC et avec des sacoches en plus… Pas un mot. Mais pour qui elle se prend celle-là ? N°22 n’est pas encore mort. Je monte de mon 28-30 kmh pépère vent de face  à 38, la gratifie d’un très poli bonjour au passage et ne la reverrai plus.
Voici Grenchen. Les pionniers se sont tous arrêtés ici pour manger ou acheter à manger. Il me reste encore des sandwichs, une pomme et quelques bricoles : de quoi manger ce soir et pas grand-chose demain matin. Je décide de brûler le ravito pour rattraper un peu de temps perdu.
La longue approche du Chasseral peut donc commencer. Côté rassurant la route pour aller vers Nods, pied de la montée à proprement dit, est large et de bon revêtement. Dans un premier temps il s’agit de monter à Romont. La nature est belle et les villages charmants. Côté pente c’est très irrégulier avec des alternances de passages plus ou moins pentus mais compte tenu de l’absence de virages en lacets serrés ça passe bien. Les villages s’égrènent (Romont, Diesse, ……………… ) ça monte et ça descend avec aussi 2 bonnes portions plates. Par contre progressivement la nuit tombe et le vent forcit de plus en plus. Au mieux il me manquera une bonne demi-heure pour mon coucher de soleil sur le Chasseral et avec vue sur les Alpes Bernoises. Je m’en fais une raison, occupé que je suis sur les derniers kilomètres avant Nods à avancer contre un vent debout cette fois et à rester en équilibre sur mon vélo lors des grosses rafales. A Nods, bien blottie contre la montagne le vent se calme. L’arrêt à une fontaine me  permet de repartir plus lourd mais avec des bidons pleins et de manger la moitié de la  banane qui me restait de l’hôtel. L’attaque pour sortir du village est raide mais avec l’éclairage de n° 22 et celui plus puissant des lampadaires ca passe sur le vélo sans problème. Après un virage à gauche la pente s’adoucit et je continue d’avancer à 12 kmh à la seule lumière de n° 22. Après la jonction avec la route qui monte de Neuchâtel la pente durcit et dans le nuit noire à 8 kmh je n’y vois plus grand-chose. Je ne m’attendais pas à cela. L’instabilité du vélo fait qu’en plus le maigre faisceau se promène dans tous les sens ce qui amplifie le sentiment de déséquilibre.  Au bout de quelques minutes à ce régime je me retrouve pour la deuxième fois de la journée par terre. Cette fois-ci plus douloureusement : mon épaule est ouverte et me fait mal (ca va se terminer par un bleu quasiment du coude au cou). N°22 lui n’a rien et c’est l’essentiel ; moi abimé je peux continuer mais lui abimé c’est très compromis. La situation est vite analysée même avec un gros coup au moral : je ne monterai pas cela de nuit sur le vélo mais s’installer là pour la nuit me met trop en retard sur les délais. Changement de chaussures et marche à pied. J’ai dépassé le stade des questions, des états d’âme, des atteintes à ma fierté et ne suis plus grand chose d’autre qu’une tête et qu’un corps qui monte, avec une pensée monomaniaque : avancer. Je passe ainsi le 2ème lacet et, peu avant le troisième, à la sortie de la forêt apparaît le relais TV éclairé dans la nuit, si proche et pourtant encore loin. Peu après le 2ème lacet la pente s’adoucit et je comptais sur cela pour repartir en vélo. C’était sans compter avec le vent qui souffle en tempête dès la sortie de la forêt et m’en empêche. La suite jusqu’au col du Chasseral se fera donc aussi en poussant. A partir de là jusqu’à l’émetteur la route monte peu mais comme elle est sur la crête cela souffle de plus belle. J’arrive à repartir dans un passage abrité par quelques rochers et à rouler tant bien que mal jusqu’à l’émetteur. La vue est extraordinaire sur toutes les lumières des villes et des villages en contrebas qui font miroir au ciel étoilé. Même si la température n’est pas très basse je me couvre parce que le vent me rafraichit rapidement. Je fais ma photo de contrôle et rallonge un peu l’habituel SMS envoyé à Muriel pour simplement signaler le passage au contrôle par un gros mensonge qui dit que je m’installe pour la nuit. Il est 23h00 et il est désormais impossible d’être à Saint Hyppolite à 3h comme prévu  parce que j’ai perdu trop de temps. Par contre je veux être sorti de la Goule à cette heure-là. Cela fera une heure de retard ce qui est rattrapable. Je reste en chaussures de marche pour la descente vers Saint Imier parce que je sais très bien ce qui m’attend en bas: la prochaine montée sera pédestre comme le sera celle de la Goule (ca c’était prévu).  Hormis les quelques premiers kilomètres battus par le vent la descente est plaisante, avec un petit kilomètre de remontée (sur le vélo : pas raide et abritée du vent) pour se réchauffer et une deuxième partie sur une grande route où même de nuit on peut laisser filer.
Saint Imier by night est une grande expérience.  Après un peu de marche à pied pour m’y retrouver plus facilement je roule jusqu’à la limite des éclairages publics puis n’insiste surtout pas. Le même phénomène que dans le Chasseral va tôt ou tard déclencher les mêmes effets. Mon épaule en a assez vu pour aujourd’hui: je fais toute la montée vers le plateau en marchant et en profite pour manger mon repas du soir avec, grand luxe, deux petits sandwiches et une barre de céréales.  Je redoutais la navigation sur le plateau mais elle a été aisée. J’avance bien avec désormais un vent moins défavorable et me voilà asse vite à Noirmont.
De là il s’agit de descendre vers le Doubs à la Goule qui marque aussi le retour en France. J’avais bien repéré avec Google Earth le chemin à suivre dans Noirmont et même de nuit c’est facile à trouver. Après dans la descente il n’y a rien de plus simple : il suffit de suivre la route la plus défoncée. Ma descente se fait à 20kmh maxi. A part les arbres, quelques rochers et les dégâts sur la route il n’y a rien à voir de nuit dans cette descente qui me semble interminable. A l’humidité grandissante on sent le Doubs qui approche. Enfin quelques lumières puis le vieux pont en fer. Je m’arrête rapidement pour prendre la photo de contrôle, sans SMS cette-fois-ci : officiellement je dors. J’arrive à pédaler quasiment tout le premier kilomètre qui suit, partiellement en descente et éclairé. Arrivé à ce qui doit être une petite chapelle, la vraie montée débute : 3km à 20% de moyenne sur une route à peine assez large pour une voiture et bien délabrée. C’est ce que je distingue au dernier éclairage public. Après je ne vois plus rien : à 3 kmh à pied mon éclairage ne sert plus à rien. J’ai simplement l’impression de monter à pied dans un tunnel noir et hyper raide. Pour la première fois la marche à pied est pénible et j’ai m’impression de ne pas en voir le bout. Je ressasse à l’infini la magnifique chanson de Hildegard Kneef : « ich bin zu müde um sclaffen zu gehen… » qui m’accompagne durant toute la montée. Un instant je crois voir une lumière, puis plus rien. Je continue un peu plus loin idem. Je me dis que je commence à avoir des hallucinations ? Encore un peu plus loin il se confirme que c’est bien une lumière : le premier lampadaire de Charmauvillers à hauteur d’une ferme isolée. Je me fais l’effet d’un navigateur isolé qui revoit la terre. Bientôt les lumières s’enchaînent et je rejoins la rue principale. Je pars à gauche pour éviter la grand route que je pourrai rejoindre demain. Je cherche un endroit calme pour dormir et ce sera probablement plus facile de ce côté-ci. Je fais cela en vélo, le village est éclairé et dès sa sortie je repère un terrain de sport avec une aire de pique-nique.  C’est plat, un peu à l’écart : parfait. Tout en me couvrant au maximum pour la nuit avec des affaires sèches je mange la pomme qui me restait. Jamais pomme ne fut meilleure… Il est 3 heures du matin. J’installe une couverture de survie au sol, ma ventisit comme petit matelas et me glisse dans mon sac de survie. Le sommeil est venu de suite.
Vers 6 heures le froid et l’humidité (dans un sac de survie en toile alu ca condense) me réveillent. C’est bien ainsi, j’ai bien dormi et il faut repartir. Je grignote les WASA qui me restent tout en m’habillant et en rangeant mes sacoches. C’est tout ce qu’il me reste en dehors de mes poudres et autres pâtes sportives. Il va falloir sérieusement penser à trouver du solide quelque part. Petit brin de toilette et je repars au plus vite : le temps a changé, c’est couvert, froid et très humide. La fin du col de la Vierge est facile même avec des jambes peu réveillées et une fois couvert la descente agréable à négocier. J’achète de l’eau dans une librairie-papeterie dont je me demande pourquoi elle est ouverte à cette heure-ci. Cela me permet au moins de boire des boissons énergétiques et me nourrit en attendant. Pas de boulangerie en vue. Pas de temps à perdre non plus à en chercher une donc je continue dans la brume et rejoins la descente sur Saint Hyppolite. Elle est assez longue, super rapide, virages peu serrés : un régal pour VC d’autant plus qu’à cette  heure il y a peu de circulation encore.  Content néanmoins d’en voir le bout, à cause du froid humide, j’entre dans la première boulangerie venue. Erreur fatale : il lui reste 2 croissants en tout et pour tout. C’est quoi cette boulangerie qui n’a plus rien alors qu’il n’est pas encore 8 heures ? Je les achète en range un pour plus tard et mange l’autre en roulant le  long du Doubs. Je n’avance pas bien à mon goût et pourtant le vent contraire est faible. Je redoute la remontée vers le col de Ferrières et les monts du Lomont. Pas tant pour la pente que je sais modérée mais pour les enseignements sur mon état que je risque d’en tirer quant à ma capacité à affronter le programme vosgien qui m’attend après ce dernier obstacle jurassien. Surprise : autant je me sentais scotché sur le faux-plat descendant le long du Doubs  autant dès que la route remonte, avec le réchauffement ca va bien. Le moral lui aussi remonte. Tout remonte donc à l’exception de la température. Arrivé en haut je n’ai qu’une hâte, descendre au plus vite vers l’Isle sur le Doubs d’autant plus que le vent s’est lui aussi levé et ne rends pas les hauteurs plus agréables. Rapide arrêt photo à Glainans et SMS à Muriel qui comprends vite que je n’ai pas du dormir beaucoup en réalité, du moins c’est ce que je décode du SMS retour.

Vosges

Belchen satt 2013De l’Isle sur le Doubs à Lure, c’est un joli parcours de collines ininterrompues a l’exception des 10 derniers kilomètres qui sont plats. Le temps s’améliore et vers la moitié le soleil est de retour. Le vent souffle toujours défavorable mais il est moins froid. Tout va bien mais je sens que je commence à m’endormir. Je lutte mais à un moment donné ma tête part carrément. Le vélo rattrapé je me dis que ca craint. Le premier pré venu j’étale ma couverture de survie et pars pour unedemi heure de sommeil. Ca suffit et je me sens à nouveau bien.  Une fois en tenue légère et le second croissant avalé (ce sera le repas de midi) Lure est vite atteint. Désormais les Vosges sont bien visibles et c’est reparti pour un bel enchaînement. Comme entrée ce sera le ballon de Servance. Avant il faut remonter tout le fond de vallée jusqu’au Haut du Them. Le vent est redevenu légèrement favorable et je file bien, à plus de 30 kmh. Rapide arrêt pour remplir les 2 bidons, toujours eau plus poudre (les boîtes s’allègent), et j’arrive au pied de ce ballon jamais gravi. Après un début un peu rude (pente par endroit et état de la route moyen) la route devient très peu pentue dans la partie intermédiaire qui permet plus de grappiller des kilomètres que du dénivelé. Cela paraît interminable, pas parce que je ne monte pas bien mais parce que c’est extrêmement monotone et ennuyeux. De la forêt sans vraiment de vue. Enfin la route se redresse et les 2 derniers kilomètres sont les plus ardus. Après un arrêt photo et SMS rapide je plonge au plus vite dans la descente. Compte-tenu de l’heure et du fait que j’ai bien grimpé pour ce premier gros morceau des Vosges,  il y a une petite chance d’être au Grand-Ballon pour le coucher du soleil. Cela aurait deux avantages : pas de soucis d’éclairage et donc moins de poussage et le coucher du soleil là-haut est toujours un grand moment.  C’est mal parti puisque un arrêt s’impose au bout de 2 km de descente : il fait un froid de gueux et il faut que je remette des épaisseurs. La route, comme annoncé, est moyenne, sans trous mais qui secoue énormément. Le paysage est plus joli et intéressant de ce côté-ci.
Arrivé à Plancher-Les-Mines c’est reparti en tenue plus légère pour les 2 belles bosses qui permettent de rejoindre Giromagny. Le coup de pédale reste bon et du coup enthousiaste. Par contre je sens que je m’endors à nouveau.  Le  Ballon d’Alsace de ce côté-ci  est un régal pour les VC et… les motos : passés les premiers 3-4 km il prend une pente moyenne de l’ordre de 5-6% avec de beaux et larges lacets où même N° 22 pourra passer, fier comme Artaban, sans la moindre hésitation, lui qui a subi une véritable humiliation dans les lacets terminaux du col de Pailhères il y a quelques semaines lors du BCMF de Limoux. Des motos il n’y en a pas. Aucune envie de me gâcher la montée en luttant contre le sommeil. A gauche de la route juste au début de la montée il y a une aire de pique-nique avec une superbe pelouse et c’est au soleil. Je m’y installe pour un petit somme. Vingt minutes plus-tard c’est reparti et la montée est enchaînée dans un bon rythme. Je me pose la question pourquoi cette montée qui est aussi tout en forêt est belle alors que celle de Servance était juste ennuyeuse. Pas de réponse.  Les 2 derniers kilomètres sont caractéristiques des Vosges à une certaine altitude : plus de forêt mais des prés ou des hautes chaumes. Pas étonnant, vu le vent qui souffle et le froid les arbres ne peuvent pas pousser et en hiver c’est souvent bien pire. Je m’arrête à la stèle qui commémore la première montée lors du tour de France par René Pottier et prend la photo de contrôle. Le bougre était monté par le côté, plus difficile, de Saint Maurice sur Moselle à 25km/h. Je me couvre et descend très vite vers Saint Maurice. Enfin une vraie descente avec de beaux virages où l’on peut aller à fond (les kilos de bagages supplémentaires aident). Belchen satt 2013
La remontée de Saint-Maurice de Bussang est rapidement avalée, presque plate, vent de dos. Il fait déjà frais et il est grand temps de se ravitailler en eau et en nourriture. Je passe tout droit le carrefour où j’aurais dû tourner à gauche pour monter au col du Page en désespérant de trouver un endroit où me restaurer. Enfin un peu plus loin se trouve une boulangerie-épicerie. Quelle agréable chaleur, on y resterait bien des heures. L’accueil l’est moins. Enfin c’est 50/50 : la jeune serveuse accepte de me faire 2 bons gros sandwiches de type demi-baguette alors qu’il ne lui en reste plus, malheureusement plus qu’un seul en poulet-crudité-mayonnaise (ca passe mieux quand on ne salive plus beaucoup) et un au jambon cru-fromage (ca passe moins bien) ; la plus âgée quant à elle refuse sur un ton sec de me vendre la moitié des 4 yaourts qui lui restent. Je ne sais pas où caser 4 yaourts qui risquent d’exploser dans les sacoches si je bourre trop et n’ai pas le temps de manger maintenant puisque je veux profiter au maximum du jour. Tant pis donc pour les yaourts, ils me faisaient pourtant envie. Je me rabats sur la petite brioche restante et un litre et demi d’eau pour refaire les bidons. Je quitte à regret cette douce chaleur (à défaut d’ambiance), prépare mes bidons et c’est reparti pour la rue du Théâtre du Peuple qui mène au bas du col du Page (ce théâtre a été créé par le célèbre chroniqueur judiciaire Frédéric Pottecher qui était originaire de Bussang).  L’entame est soutenue, la route assez étroite mais je reste sur me bonnes impressions et monte toujours bien. La vue sur la vallée est dégagée et montre un habitat de montagne typiquement vosgien. Je redoute quelque peu les deux lacets vers la station de ski de fond mais arrive à les passer sur le vélo (c’est une loterie : il suffit d’une voiture en face et c’est pied à terre tellement je dois virer large). Deux kilomètres plus loin la route entre dans la forêt et la pente s’adoucit très nettement. La fin du col est facilement atteinte. Photo et SMS  et un coup à boire ; panique mon bidon a disparu. En un instant je me dis que je les ai oubliés à Bussang.  Non pas les : un seul. Le deuxième est lui bien présent. Tant pis je vais faire avec un seul. Ce sera moins pratique et il va falloir s’arrêter plus souvent ce sera moins contraignant que de redescendre et remonter tout le col. Ca me contrarie mais je me reconcentre vite sur mon objectif. Ce qui est fait est fait et je ne peux plus le changer. Je me couvre bien pour la descente même si je sais qu’au passage je vais avoir un peu plus de un km à remonter pour passer le col d’Oderen.  Il fait déjà froid à cette heure et Oderen du côté où je vais le descendre est un coin où il fait rarement chaud : la vallée de Saint-Amarin qu’il permet de rejoindre est une ancienne vallée glacière dans laquelle subsistent encore des tourbières très intéressantes et … un froid qui doit dater de l’époque. Après un km et demi de sauna même toutes fermetures-éclair ouvertes je  ne regrette pas mon choix lors de la descente rapide sur une bonne et large  route qui même au fond de la vallée.
Après m’être remis en tenue légère (les manchons restent appréciables), j’attaque le gros morceau de cette partie vosgienne : le Grand-Ballon.  Par la diretissima disent Walter et Urban mais là je ne suis pas tout à fait d’accord. La montée par Moosch mérite à mon sens plus cette qualification : même si sa première partie jusqu’à Geishouse  est un peu moins pentue que celle qui part de Saint-Amarin, elle est plus directe. Elle ne ménage pas de partie de repos légèrement descendante durant un bon kilomètre avant de rejoindre Geishouse et propose un enchaînement direct de montée ; accessoirement elle est un peu plus adaptée aux VC. Ceci étant, ce n’est pas le choix qui a été fait. L’attaque est rude et met tout de suite dans le bain ; pas de sueur puisqu’il fait déjà bien frais et on le ressent même en montée, sans que cela soit une gêne. Il fait encore jour et j’essaie d’aller au plus vite pour en profiter un maximum et différer au plus tard le scenario de la veille au soir avec manque de visibilité et déséquilibre. Hormis les virages ça passe sur le vélo. Durant ma période étudiante j’ai enseigné une année à Saint-Amarin (ca m’a suffi : l’enseignement, pas Saint-Amarin dont je garde un excellent souvenir). Je connais les montées des environs et sais les gérer au mieux, même si 30 années ont passé et le vélo a évolué de droit vers couché. La partie centrale ménage une bonne phase de repos actif, de quoi faire le point. Je n’arriverai pas en haut de jour. Il me manquera une petite demi-heure même en ne m’arrêtant pas pour prendre de l’eau, ce que je vais regretter par la suite. L’objectif est de rallier le carrefour de la route des crêtes sur le vélo. Après il y a une partie de faux-plat que je pourrai rouler  même de nuit et il restera le dernier kilomètre jusqu’au sommet plus raide à nouveau. Tout se passe comme prévu jusque-là.  Quand j’entame ce dernier kilomètre il fait vraiment noir et à 8 kmh c’est immédiatement reparti pour des déséquilibres difficiles à rattraper. Mon épaule droite est sacrément douloureuse de la veille, je n’ai aucune envie de la tester à nouveau.  Je m’arrête, mets mes chaussures de marche et pousse tranquillement le dernier kilomètre tout en mangeant mon sandwich poulet-crudité-mayonnaise. Un vrai régal et cela se mastique très bien, probablement grâce à la mayo. J’arrive au Grand Ballon vers 21h30. Je suis serein : j’ai passé une bonne journée et pour la première fois je me dis que c’est jouable dans les délais. Ce n’est pas une raison ni pour se déconcentrer, ni pour s’éterniser. Là-haut il fait déjà un froid de canard et dès l’arrêt de l’effort le froid vous saisit d’autant plus que le vent s’est mis à souffler. Photo-SMS et je me couvre tel un bibendum pour la descente. Passé le premier kilomètre de descente  il y a ensuite une bonne portion de plat sur la route des crêtes avant d’attaquer les courtes remontées vers le Breitfirst et le Col du Platzerwasel ; cela me réchauffe. Le Platzerwasel  est un épouvantail de l’autre côté mais de ce côté-ci c’est un cadeau avec moins d’un km de montée. Ça change de ma première tentative en course sous des trombes d’eau et neige au sommet jamais atteint : j’avais crevé dans la vallée et lors du changement de roue le défunt CCC Thann m’avait dépanné d’une roue qui n’était pas la mienne et équipée d’une roue-libre 13-18 ; bien entamé par ma chasse pour réintégrer le peloton, en 42 X 18 je n’ai jamais vu le sommet. Il ne fait pas chaud durant la descente mais comme elle est rapide, avec peu de virages et moi bien couvert je tiens bien jusqu’en bas. En même temps je fais le point : je suis largement dans les délais, je n’ai pas sommeil. Si je continue je peux être arrivé un peu après 4 heures du matin ; par contre je vais probablement devoir faire certains passages du Petit Ballon à pied, surtout, dans la première partie et je ne verrai rien des paysages. Je décide donc de m’arrêter à Sondernach pour dormir quelques heures et de finir le lendemain de jour et aussi, si possible, de trouver une chambre pour ces quelques heures parce que compte tenu du froid, cela ne m’enchante guère de dormir dehors. Sondernach by night… nuit si l’on peut dire puisqu’il était peu après 22h30 ; c’est néanmoins un vrai désert : pas âme qui vive, pas de café ouvert, pas d’hôtel (en fait il y en a un au bout de la descente juste avant le village mais à la signalisation non visible de nuit et je suis donc passé devant sans le voir). J’erre pendant 15 minutes vélo à la main sans rien trouver. Enfin un panneau bien caché indique un camping. Au bout de 500 mètres d’un chemin improbable, toujours pas de camping mais un cimetière militaire à gauche. Les hôtes sont calmes, le gazon bien entretenu et les sapins magnifiques. Pas d’hésitation, je hisse n° 22 de l’autre côté  du portail, grimpe par-dessus à mon tour et commence mon installation en me hâtant parce que le froid se fait déjà bien sentir. Belchen satt 2013Autant rentrer dans mon sac de bivouac avec la chaleur qui me reste encore.  J’envoie un petit message rapide pour annoncer que je m’arrête pour la nuit, sans plus de précisions. Après le mensonge de la veille cela ne prend plus. Le message retour demande ou je dors ; réponse dans un cimetière militaire. Vingt secondes plus tard j’ai Muriel en ligne qui se demande si c’est une plaisanterie. Confirmation, c’est bien un vrai cimetière militaire. Elle éclate en pleurs, inconsolable et très inquiète de me savoir dehors. A Villé le thermomètre indique 9° et va descendre encore; la vallée de Sondernach est plus haute et plus encaissée, il doit y faire plus froid. Je la rassure et au bout de quelques minutes ça va mieux (en fait elle ne dormira pas de la nuit). Après avoir raccroché je mets me blotti du mieux dans mon sac, règle le réveil à 5h00 et  éteint ma lampe un peu avant minuit. Comme la veille le sommeil vient très vite.
Je ne me souviens pas m’être réveillé dans la nuit, mais vers 4h00 le froid me tire bel et bien de mon sommeil. Combiné à l’humidité qui condense dans mon sac cela devient très inconfortable mais cela ne donne aucune envie d’en sortir non plus. Les tentatives pour profiter d’une heure de sommeil de plus sont vaines : vraiment trop froid. Je mange mon deuxième sandwich de Bussang et boit le fond de mon bidon. J’ai très soif et plus d’eau. Il est préférable de se mettre en route au plus vite pour commencer à se réchauffer. Une fois tout rangé je dis adieu à mes compagnons d’une nuit et repars sur le vélo jusqu’à la route principale. Au bout d’un kilomètre de remontée la route du Petit Ballon est rejointe. C’est aussi la fin de l’éclairage public mais pour l’instant c’est plat puis peu montant et même la nuit je passe sans problèmes. Par contre dès que la pente s’accentue je n’arrive pas à accélérer, mes jambes ne sont pas du tout échauffées et rechignent à la tâche. Je zigzague dangereusement et préfère m’arrêter. Je mets les chaussures de marche et avance ainsi. J’ai un peu le temps,  le jour va bientôt se lever et même si je n’avance pas plus vite tout à l’heure qu’il y a quelques instants, à 8-9 kmh, de jour, je pourrai remonter à vélo. Cette petite marche finit de me réveiller et ça va de plus en plus vite. Un seul problème : j’ai une soif pas possible. Dans ma précipitation pour me remettre en route j’ai oublié de faire le plein au cimetière où il devait forcément y avoir un robinet. Dans mes souvenirs il y a des colonies de vacances un peu plus loin. Au bout d’un kilomètre j’y suis. Vers 5h45 il n’y a personne et c’est fermé. Trop soif : il doit bien y avoir un robinet extérieur quelque part et  pas un chat en vue à cette heure-ci.  Je m’introduis dans la propriété, commence à faire le tour et, miracle, voici un robinet. Je crois que j’ai autant plaisir à le voir qu’un bédouin qui trouve une oasis dans le désert. Belchen satt 2013Ma joie retombe aussi vite : le robinet fonctionne  certes mais l’eau est toute brune.  Je décide de laisser couler et au bout d’une minute ou deux elle est parfaitement claire. Après avoir avalé un bon demi bidon d’une traite, je le rempli et y ajoute ma poudre (désormais fini l’ultra longue distance, je ne mets plus que de la longue distance). IL est temps de se secouer, fini la promenade matinale. Le soleil n’est pas encore levé de ce côté-ci du Petit Ballon mais il fait clair. Je remets mes chaussures de vélo et enchaîne bon train le reste de la montée qui reste sur des pourcentages raisonnables. Ce côté-ci n’a rien à voir avec le côté à descendre mais surtout cela confirme qu’il n’y a pas grand-chose à tirer du rasleboldeceblog  tant qu’il n’a pas eu sa ration de petit déjeuner conforme, solide et liquide. Au carrefour de chemins qui marque le sommet de la route, un peu en contrebas du Petit Ballon j’ai droit au soleil levant et à une vue qui valait bien de se lever. Par contre il vente et surtout il fait encore un froid de canard à 7h10 du matin. Je me remets donc en tenue Bibendum, fais quelques photos du paysage, plus celle de contrôle (en fait dans la hâte de descendre j’ai pris le mauvais poteau indicateur mais Walter et Urban le valideront néanmoins), envoie mon SMS pour rassurer Muriel et file dans la descente.  File c’est le cas de le dire compte tenu de la pente qui ne fait qu’accentuer le froid. Excepté un détour dans une cour de ferme pour avoir tourné à droite un carrefour trop tôt, rien à signaler. Le revêtement est bon et on se fait plaisir. Je suis doublement content d’arriver à Wasserbourg qui marque la fin de la descente parce que le froid me gagne vraiment et qu’avec un nom comme cela (Wasser = Eau en alsacien et en allemand) nul doute que je vais pouvoir trouver de l’eau (je n’ai pas tout bu mais ne suis tout de même pas entièrement rassuré quant à la qualité de mon eau de robinet). Il va falloir débaptiser ce village parce que le long de l’horrible (il faut la faire dans l’autre sens pour comprendre) rue Principale pas la moindre trace de fontaine. Tant pis, je descends pleine vitesse le faux plat en fond de vallée à la limite de la fréquence de pédalage possible avec un 44 X 11, mais il faut que je pédale pour me réchauffer un peu avant le début du dernier col, le Firstplan, sinon le réveil va être brutal. Au bout d’un kilomètre une voiture se met à klaxonner derrière moi(même à cette heure-ci il n’y a pas moyen d’être tranquille !). Je me mets bien de côté mais ça continue ; la tension monte. A l’entrée d’un virage ouvert à gauche elle se décide enfin à me doubler, précisément là où on ne voit rien de ce qui vient en face. Dans ma tête je me dis que s’il devait y avoir une voiture dans l’autre sens ca va faire boum à trois et moi je suis le moins protégé des trois; remontée de tension, bordée de jurons en alsacien (je jure en alsacien parce que pour cela il n’y a rien de mieux que l’alsacien avec la richesse de ses expressions dans le domaine), baisse de tension, cela soulage. Dès que la voiture s’est rabattue, je réalise que c’est en fait la nôtre. Muriel, qui n’a pas dormi de la nuit d’inquiétude, c’est mise en mode action dès le petit matin pour me retrouver et ainsi arrêter de stresser. Même si je vais vraiment très bien et n’ai aucun besoin de soutien à ce moment, ce fut un énorme plaisir de retrouver quelqu’un de connu au bout de 48 heures de solitude quasi absolue. Comme elle avait la vitre ouverte en me doublant, elle a entendu mes jurons/insultes. Elle ne comprend pas l’alsacien mais sait très bien ce que cela signifie. La voilà rassurée elle aussi : compte tenu de l’ardeur que j’y ai mise, la bête va bien. Nous nous retrouvons au carrefour qui marque le début du Firstplan. Je m’allège et remets mes affaires dans mes sacoches. Elle veut me les prendre mais je refuse : sans assistance, c’est sans assistance. Après un moment d’étonnement elle comprend.
Le Firstplan n’est pas un col bien haut et la majorité de ses accès sont faciles (le plus ardu à négocier étant certainement l’accès indirect par Gueberschwihr, celui par lequel il faudra descendre). Les montées possibles sont toutes très agréables d’un point de vue paysages et découvertes sauf celle que je fais qui se résume à un long serpent en forêt, sans vue ; une route comme tant d’autres. La pente est raisonnable à 6-7 % et je monte sans forcer autour de 10-11 kmh.  Après un rapide arrêt photo de contrôle au sommet et aussi pour me couvrir (il fait toujours frais) j’effectue rapidement la première  partie de la descente sur laquelle on peut laisser filer sans se faire peur. La petite remontée intermédiaire vers Osenbach me semble interminable. D’une part je chauffe sous mes couches mais surtout je sens de l’impatience qui monte en moi : c’est la dernière montée (excepté un bonne bosse sur les contreforts du Kaiserstuhl), elle marque la fin des difficultés. Arrivé en haut je referme mes épaisseurs et pars pour une descente très rapide de ce qui est à la fois le plus dure et le plus bel accès au Firstplan. Défilent devant moi le monastère d’Osenbach, situé comme tous la plupart des couvents dans un écrin de nature magnifique, le site d’escalade (bloc essentiellement) de Gueberschwihr avec ses splendides concrétions de grès des Vosges puis au détour d’un virage une sortie brutale de la forêt avec une vue sur les contreforts vosgiens couverts de vignes au milieu desquelles sont blottis de magnifiques villages vignerons, la plaine d’Alsace et, à l’arrière-plan, la Forêt-Noire  au pied de laquelle se situe mon arrivée. Ce n’est pas le moment d’en profiter, la descente est toujours aussi rapide avec quelques virages en lacets et une route étroite pour finir. Je passe le beau village de Gueberschwihr et rejoint Hatstatt qui marque la véritable fin de la descente. Il ne fait pas encore bien chaud mais tous mes arrêts et ma mise en route laborieuse m’ont mis en peu en retard. J’ai le temps de rentrer dans les délais mais avec guère plus d’une demi-heure de marge. Comme je dois m’arrêter pour de l’eau plus poudre je me change aussi et me mets tout de suite en tenue légère.

Plaine du Rhin

C’est parti pour la partie finale avec pour commencer une traversée de la plaine d’Alsace afin de franchir le Rhin à Neuf-Brisach.  Je n’apprécie guère cette plaine que je trouve ennuyeuse et sans charme particulier à l’exception de certains villages typiques ou de conditions météo particulières. Le brouillard notamment lui confère un attrait un peu mystérieux à l’automne. En attendant je suis vite rappelé à la réalité : le vent souffle du Nord-Est, donc 3/4 face et c’est ce qui ralentit le plus. Par ailleurs il s’agit de rester vigilant à la navigation. Rien de mieux pour se perdre qu’une plaine avec des routes dans tous les sens. Le relief aide à s’orienter mais en plaine les points de repère sont rares. Mes années néerlandaises m’ont aguerri sur ce plan (et d’autres), au prix de quelques belles errances toutefois et j’étais rapidement passé des cartes au 200ème vers des cartes au 25ème pour préparer mes parcours. Je roule malgré le vent aux alentours de 33-35 kmh et sauf une hésitation dans un rond-point arrive rapidement et sans encombre à Neuf-Brisach. Les fortifications de Vauban sont intactes et méritent une visite (site BPF) mais il faut que j’avance.
J’enchaîne avec la traversée du Rhin qui trace majestueusement et fièrement son sillon tout droit vers le nord comme dans la poésie de Germain Muller (Er luejt nit rächts, er luejt nit links, fir inne sin mir dumms Gedings… ).    Discipliné je m’engage sur une piste cyclable côté allemand qui se finit par 100 mètres à travers champ et talus pour rejoindre la bonne… piste. Un peu plus loin un camion, qui m’a très bien vu venir, se met en travers de la piste à l’arrêt pour s’engager sur la route qu’elle longe. Je râle un bon coup, en Français pour une fois afin de ne pas trop froisser le conducteur qui a la fenêtre ouverte. Le camion est allemand mais le chauffeur est… français. Ça se termine en véritable engueulade.  Tout cela me met sur les nerfs et j’avance encore plus vite d’autant plus que je tourne très légèrement vers le sud et que le vent devient moins sensible. Nous avions repéré cette partie du trajet dimanche soir en nous rendant à Freiburg avec Muriel et la navigation ne pose aucun problème particulier du coup (sinon la feuille de route est très précise et les panneaux routiers suffisants pour ne pas se perdre). La bosse sur les contreforts du Kaiserstuhl fait mal aux jambes après des kilomètres de plat mais n’est en réalité qu’une formalité. Belchen satt 2013Vient ensuite la piste cyclable qui longe la Dreisam et qui permet de rejoindre le centre-ville jusqu’à quelques centaines de mètres de l’arrivée.  J’avance encore à bon rythme pendant quelques kilomètres  puis la  circulation se densifie progressivement. Là aussi cela évoque les Pays-Bas côté densité de la circulation sur les pistes avec toutefois la largeur en moins. Du coup cela deviens dangereux. Les VD ne comprennent pas qu’un VC est moins maniable et ne font pas attention. Je décide de ralentir et de finir tranquille, aucune envie de me prendre une gamelle à ce stade. Un peu plus loin j’apperçois le sommet de la cathédrale de Freiburg qui émerge au loin au-dessus d’une barre d’immeuble sans intérêt au premier plan de l’autre côté de la Dreisam. Ce n’est pas pour autant le temps de se laisser aller à l’émotion qui me gagne. Cette piste devient un vrai capharnaüm avec des vélos dans tous les sens. Je redouble de vigilance tant pour éviter des vélos dont peu roulent droit(malgré l’appellation que nous leur donnons)  et aussi pour trouver la bonne sortie (la piste se déroule le long de la Dreisam en contrebas de la route et on a un peu de mal à se repérer). Je me mets à compter les ponts sous lesquels je passe pour sortir au bon endroit (merci Google Earth). La méthode fonctionne. A la sortie après un virage à gauche la dernière ligne droite est devant moi avec au bout la Martinstor, quittée il y a maintenant 53 heures. Dernier feu rouge ; dernière chute évitée entre les rails de tramway et une cycliste qui fait un magistral écart à gauche au moment où je la double.  Je pose n°22 et le prend en photo avec la tour puis une deuxième photo de l’horloge de la tour pour le contrôle.
C’est fini.
Je ne vois pas tout de suite Muriel qui devait m’attendre. En fait elle était là mais me laisse un peu de temps pour moi. Quand nous nous retrouvons enfin l’émotion nous gagne tous les deux. Nous laissons passer sans un mot, le temps qu’il faut. Ensuite nous repartons vers la voiture, mal garée comme nous le signale aimablement une passante en rajoutant « … und in Freiburg ist es sehr teuer ! ». Je me hâte donc de ranger n°22 dans la voiture et après un rapide crochet par l’hôtel pour récupérer mon sac en plastique nous voilà définitivement partis.

Remerciements

A Walter et Urban, je vous ai maudits souvent durant ces deux jours mais en fin de compte merci mille fois pour ce magnifique parcours. Je n’ai qu’un regret, c’est de n’avoir pas tout vu, mais en vélo couché, à mon âge et avec le temps limité que je peux consacrer au vélo, je ne peux plus abattre cela de jour uniquement tout en restant dans les délais. Je le referai à coup sûr un jour en version touriste tranquillement pour enfin voir le Chasseral et la Goule de jour.
A Muriel, que mes aventures stressent et qui accepte ma passion du week-end et des vacances en plus d’un travail plutôt accaparant.
A Pascal (Siliconmollet), qui apprécie assez peu les bosses mais m’y accompagne tout de même régulièrement lors de nos sorties des week-end dans l’Entre-Deux-Mers.

Epilogue : après une dernière semaine de vacances dans le nord de la Drôme à récolter quelques cols que je ne connaissais pas encore et à ruminer sur ce 1000 du Sud dont je rêve depuis 3 ans mais dont  les dates sont impossibles pour moi, j’apprends qu’un bébé va naître au CC Kingersheim. Il s’appelle Trirhena 1000 et sa naissance est prévue le 9 août 2014. Ce n’est pas tout à fait le parcours de mon 1000 de l’Est à moi mais ça y ressemble beaucoup. Enfin un 1000 de montagne à une période de l’année où je peux me libérer. Le ver est dans la pomme… En plus Bridou55 et Poucet ont tout compris : ils passent par le Val de Villé et montent le col de Fouchy par son versant nord. Le plus beau col des Vosges ; je le monte régulièrement dans mon lit lorsque je n’arrive pas à dormir, sans effort, mètre par mètre avec le paysage qui défile devant mes yeux, comme sur un nuage, aérien… Le même exercice sur mon home-trainer pour faire passer le temps plus vite me ramène régulièrement à des réalités moins agréables.